mercredi 11 novembre 2015

Les grandes gueules.



Un mois et demi.

Quelques semaines à peine et Papa est parti.

Je ne parlerai pas de la maladie, ça serait lui faire trop d'honneur à cette garce qui l'a emporté le 6 janvier.

Le diagnostic a été vite posé, mais il était déjà trop tard...

Alors on a fait ce qu'on a pu pour lui permettre de ne pas souffrir et surtout pour lui éviter l'environnement impersonnel des hôpitaux.

Je tiens à rendre hommage aux personnes extraordinaires qui se sont occupées de lui, et de nous aussi, avec toute leur patience, leur gentillesse, leur compassion, l'hospitalisation à domicile nous a permis de veiller sur Papa.

Je ne parlera pas de la maladie, parce que Papa était tout sauf ça.

Il aimait rire, par dessus tout, de tout, tout le temps.

Il aimait apprendre de nouvelles choses, même s'il n'avait pas eu la chance d'avoir pu faire de longues études, il lui restait cette soif de connaissance, cette curiosité pour les nouvelles technologie, cette gourmandise pour l'histoire qui faisait qu'il ne s'ennuyait jamais.


Je ne me rendais pas compte à quel point je lui ressemblais jusqu'à son départ. Il est vrai que c'est au pied de la montagne qu'on la voit le moins bien.

Aujourd'hui, je n'éclate plus de rire sans penser à lui, parce qu'on a le même rire, silencieux, la bouche grande ouverte, sans un son, comme un poisson hors de l'eau, à en pleurer, parce que pour nous, rire sans que ce soit à pleins poumons, c'est inutile, au fond.

Il s'est passé presque un an avant que les bons souvenirs viennent à bout des dernières images de cette foutue nuit ou il a décroché.

Mon Papa était aussi magicien, ça, malheureusement, il ne me l'a pas transmis, je le regrette bien, comme quoi, la génétique a des limites...

 Il savait comme personne bricoler, créer des objets, des décors pour le jardin, avec deux planches et un pot de peinture, il vous faisait voyager...sans plans, sans rien d'autre que son imagination.

Quand vous ne le connaissiez pas, vous pouviez penser qu'il était un dur, parfois bourru, quand vous passiez outre la carapace, c’était un nounours avec un cœur gros comme ça...il n'avait pas eu de jeunesse dorée et m'avait donné la plus importante des leçons, même s'il n'était pas du genre à faire de longs sermons : son éducation, c'était l'exemple, pas les paroles.

L'essentiel, c'était de savoir que tout ce qui s'achète n'a aucune valeur.

Il ne reculait jamais devant quoi que ce soit pour faire plaisir à quelqu'un, il offrait sans compter, aurait donné sa chemise. A tort parfois, quand on lui faisait remarquer, il avait la sagesse de hausser les épaules : pas de regrets, pas de remords, c'était toujours fait de bon cœur, sans arrières pensées, sans calculs des éventuels bénéfices. De la bonne action, pure et dure.

Je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, bah oui, deux grandes gueules, forcément, ça fait des étincelles, parfois, mais sur la vie, la façon de percevoir le monde, avec un peu trop de détails souvent, on se comprenait sans paroles : on riait des mêmes choses...et forcément, on pleurait pour les mêmes raisons. Parce que mon Papa m'a aussi appris qu'un homme, un vrai, ça sait pleurer, même parfois devant un film idiot, juste parce qu'à l'instant "T", une scène touche une corde sensible.

Je n'ai pas pu lui dire tout ça, parce que la maladie m'en a empêchée, elle lui a pris la parole très tôt, trop tôt. Ne restaient que les regards lorsqu'il n'était pas somnolent, pourtant, je suis sûre qu'il savait tout ça, sans que j'ai besoin de le dire, tout comme je sais ce qu'il pensait sans que j'aie besoin de l'entendre...

On se ressemble trop pour qu'il en fut autrement.

Quand on me disait "oh lala, qu'est-ce que tu ressembles à ton père!", je répondais toujours en lui lançant un clin d’œil que je ne savais pas si je devais prendre ça pour un compliment.

Un code entre nous.

Il n'est pas parti, il est là, il me lit, j'ai repris l'écriture en grande partie pour lui faire plaisir, une de ses dernières "fantaisie" était toujours de me dire qu'un jour, je serai publiée...

Je n'ai pas vraiment eu de racines, mais tu m'as donné de belles ailes. Merci Papa.

dimanche 8 novembre 2015

Une grenouille dans une casserole.


Après l'opération de Papa, la tension nerveuse est retombée, l'adrénaline aussi, en copine fidèle, et c'est là que j'ai commencé à perdre les pédales.

Les années précédentes étaient passées sans spécialement me faire de cadeaux, entre mes deux fausses-couches (je hais ce mot, d'ailleurs, la médecine ne donne pas le droit d'utiliser le terme de bébé, mais la douleur qu'on ressent n'est pas liées à la perte d'un foetus, d'un paquet de cellules comme on veut nous le faire croire : depuis la seconde où on apprend qu'on est enceinte, on se projette, on voit déjà des petits pieds, des petites mains....Je le revendique, et je plains le connard qui viendra essayer de me prouver le contraire, j'ai perdu deux bébés.), la bataille juridique pour obtenir la garde des pépettes afin de les sortir de l'enfer, l'acharnement de leur mère à mon égard, bref, l'orage n'avait pas seulement frappé Papa, il m'avait mis à terre aussi.

Je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite, c'est malin, la dépression, ça cherche la faille, ça attend le moment propice, ça vous guette, dans un petit coin, et puis boom, ça vous tombe dessus, mais légèrement au début, histoire que vous ne la chassiez pas tout de suite.

Vous-a t'on déjà raconté l'histoire des grenouilles?

Il parait (je ne suis pas cruelle, je n'ai pas vérifié) que si vous plongez une grenouille dans une casserole d'eau bouillante, elle sautera d'instinct pour se sauver d'une mort certaine. Par contre, si vous la mettez dans une casserole d'eau froide que vous placez ensuite sur le feu, elle se laissera mourir à mesure que la température augmente.

Je me suis donc retrouvée dans une casserole d'eau froide, comme toute grenouille qui se respecte.

Et puis un après-midi, alors que j'étais en train de faire du rangement, c'est mon mari qui a compris : j'étais assise "juste une minute" au bord du lit, une pile de linge sur les genoux en train de replier un tee-shirt....et il m'a retrouvé exactement dans la même position, deux heures plus tard, les yeux dans le vide, à fixer un point de la bibliothèque.

Mon médecin, connaissant les détails des années qui venaient de passer conclut d'un "c'est même surprenant que ça ne soit pas arrivé avant" après m'avoir prescrit les "médicaments de la honte", comme je les appelais à l'époque...et comme je le pense encore un peu, même maintenant.

Ce n'est pas un choix.

Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant, tiens, aujourd'hui, je vais me lancer dans la dépression, c'est à la mode.

Je pense toutefois qu'il y a des situations qu'on peut éviter, si vous vous trouvez en ce moment dans un moment difficile mais dont vous connaissez une porte de secours, prenez vos jambes à votre cou!
Pour ma part, je n'ai pas choisi ce qui m'est tombé dessus et je n'avais malheureusement aucun moyen de l'éviter, j'ai subi de A à Z une situation dont je ne suis pas l'actrice.

Mon médecin m'a expliqué que c'est comme si la quille d'un bateau était touchée : on ne peut pas garder l'équilibre et rester à flot.

L'erreur serait de penser que le bateau n'aurait pas dû prendre la mer, que c'était plus sûr : c'est faux, on ne peut pas arrêter de vivre pour ne pas souffrir. On peut choisir le moment où l'on prend le large, l'endroit où on navigue aussi : si vous vous lancez contre un récif en pleine tempête, ne comptez pas sur ma compassion, mais si vous partez par temps clair, sur une mer calme et que vous êtes touché par la foudre ou attaqué par des pirates, alors je vous comprends et nous sommes...sur le même bateau.

Ce que je ne savais pas encore, c'est que c'était simplement le début de mon voyage...coquille de noix sur une mer déchaînée.

vendredi 6 novembre 2015

Le chêne.


Je suis née un jour de fête des mères. Je ne me souviens pas vous l'avoir dit, si c'est le cas, on dira que je radote un peu au fil des ans...

Cette année-là, les enfants nés un jour de fête des mères ont reçu un cadeau particulier : les heureux parents pouvaient choisir à leur bambin un arbre, qui serait inscrit dans un registre spécial et qu'on ne pourrait pas abattre afin de repeupler le paysage français.

 J'aurais sans doute choisi un sapin, parce que j'aime Noël, mais mes parents choisirent un chêne, un arbre noble, du solide...

Ce jour là, deux chênes sont "nés". L'arbre, et mon Papa.

Grandir près d'un chêne, ce n'est pas forcément être pendue à ses branches, c'est plutôt se percher sur sa cime quand on ne voit pas toujours le soleil au-dessus des nuages, c'est entendre le bruissement de ses feuilles lorsqu'un vent de folie vient le chatouiller.

Parfois, c'est rester dans son ombre, aussi, par choix, ou parce qu'il attire l'attention de toute la faune des bois.

Et puis un jour, on se rend compte que le chêne est malade.

Il a été touché par la foudre, mais vicieuse comme elle est, elle n'a même pas attaqué son écorce, pas une feuille n'est tombée, non, c'est de l'intérieur qu'elle l'a griffée de ses ongles maudits.

 Alors un jour où le chêne me rendait visite, après quatre années passées au loin, depuis mon retour en France, mon bûcheron de médecin s'est rendu compte que le chêne était malade et qu'il y avait urgence...

Les chirurgiens des forêts se sont réunis, ils ont passé beaucoup de temps à réparer le grand chêne, à le remettre sur pieds, presque comme avant, avec un beau cœur tout neuf.

J'ai retrouvé mon grand chêne et ses grands éclats de rire qui secouent ses feuilles, même si je savais maintenant que tout n'est jamais acquis, que la vie s'acharne sur ceux qui l'aiment le plus.

C'était il y a deux ans, un été pas comme les autres, dans une vie qui ne sera plus jamais la même...

jeudi 5 novembre 2015

Deux ans, deux chats et quelques antidépresseurs plus tard...

 
J'ai eu tort. J'ai eu tort et je vous présente mes excuses les plus sincères pour cela.

J'ai eu tort de me cacher, d'arrêter d'écrire, d'arrêter de partager joies et peines, j'ai eu tort de mettre mon blog, mes lecteurs, de passage ou fidèles, de côté.

 

Je suis désolée. Je me croyais naïvement solide, le roc que l'on aperçoit de l'extérieur, même moi il m'a trompé. Je ne suis rien de tout cela.

J'avais lu l'histoire du Colosse aux pieds d'argile pendant une leçon de latin quand j'étais jeune pourtant, mais on se croit toujours différente, on se croit plus forte, à l'épreuve des sales coups.

Et puis un jour on se réveille, on se regarde dans un miroir et on se voit telle que l'on est : petite, toute petite, pas Atlas version femelle qui porte la voûte céleste sur ses épaules, mais juste une petite fourmi qui, bien qu'assez forte pour porter un grain de riz plus gros qu'elle se fait balayer par une grosse pluie d'été.

Il lui en faut, à la petite fourmi, du temps et du courage pour reprendre le chemin de sa fourmilière, pour ne pas se dire que c'est perdu d'avance, qu'elle n'y arrivera pas, qu'elle n'est qu'une petite fourmi...

C'est à l'étape de la grosse pluie d'été que j'ai arrêté d'écrire.

L'orage, je ne l'ai pas vu arriver. Et puis qu'est-ce que ça aurait changé? On n'arrête pas un orage.

Balayé le grain de riz, balayés le courage, la force, j'ai perdu mes antennes dans la vague, je ne voyais plus clair, alors je me suis posée sous une feuille et comme je ne savais pas quoi faire d'autre avant de recoller les morceaux, j'ai attendu.

Deux ans.

Et puis je me suis dit qu'il était temps de sortir de ma cachette, de raconter au Monde que la vie des fourmis, même bien entourées, n'est pas toujours celle qu'on croit.

Alors me revoilà, deux ans, deux chats et quelques antidépresseurs plus tard, avec un lourd bagage à déballer, une fois que je me sentirai plus légère, quand j'aurai déposé ici mes écorchures, mes bleus et mes larmes, je regarderai à nouveau les couleurs d'automne avec tout leur éclat et je serai enfin prête à me battre.