dimanche 7 avril 2013

Nez rouge...


 

 Ceci est un texte écrit il y a quelques années, une tentative de "réveil" d'une personne tombée dans l'alcoolisme...

J'ai appris depuis qu'on ne peut aider celui qui ne veut pas s'aider lui-même, mais le texte est resté, et -qui sait- peut-être qu'il n'aura pas été écrit en vain finalement...









Je te vois, murée dans mon silence, refaire sans cesse les mêmes gestes...

D'abord il y a ces peintures de guerres derrière lesquelles tu te caches, plus ton cœur se serre, plus le sourire sur ton visage se fait arrogant, énorme, déformant tes traits...
Ensuite, tu revêts ce costume trop grand pour toi, cette veste à paillettes qui attire le regard loin de ce qui est vraiment important...vieille ruse de prestidigitateur, il est vrai que tu t'y connais en illusion, tu es imbattable.
Viennent les chaussures, indispensables, trop grandes, bien cirées, pour aller encore plus loin dans ton numéro, qu'importe si en chemin tu trébuches et te blesses après tout.

Et enfin tu le prends dans ta main gantée de blanc, lui, le symbole qui te colle à la peau...un nez rouge, sans lequel tu as l'impression de ne plus être toi, ou plutôt sans lequel tu n'oses plus te montrer, ultime carapace...

Je te regarde changer de peau et mon cœur se serre au fur et à mesure que tu fais taire la douleur qui fait saigner le tien...tu es prêt, les musiciens annoncent ton entrée, le rideau se lève et tu te jettes dans l'arène.Ah, j'avoue le terme est bien choisi: jadis, on y affrontait les lions, aujourd'hui, tu te retrouves là, sous la lumière des projecteurs, face au public qui t'acclame, mais dans l'arène, pas de grand fauve, un adversaire bien plus coriace parce qu'il te connaît par coeur: toi-même.

Tu les fais rire.

Ils ont payé leur place pour te voir jouer, qu'ils en aient pour leur argent!
Tu fais le pitre, à n'importe quel prix, même si ça te fait mal, même si ça te met en pièces, peu importe, sous les lumières des projecteurs, on t'applaudit, on rit.
Tu parles fort, tu dis n'importe quoi du moment que c'est assez bruyant pour cacher la petite voix au fond de ton cœur qui te dit que tu n'es pas à ta place, du moment que ça provoque des réactions, que ça te fait te sentir vivant.

Vivant...

Se soucient-ils, eux, aussi nombreux soient-ils de savoir d'où viennent ces tâches rouges dans la sciure?

Et Mme.Loyal, qui décide de tout, s'intéresse-t’elle à tes états d'âmes, à ces larmes qui ne veulent pas sortir et que tu caches si bien derrière ton masque de clown rigolo?

Vient l'entracte où tout un chacun peut t'approcher, te féliciter, te demander un autographe, prendre une photo souvenir...c'est je crois le moment que tu préfères, celui où, comme par magie, tu te sens aimé...

Puis, plus tard, le rideau tombe tel une chape de silence sur une tombe encore fraîche...

Il est temps de retirer ta veste, d’ôter ton maquillage...plus tard, c'est ton nez rouge qui disparaîtra, et avec lui les jolies illusions dont tu t'es nourri pendant ces quelques heures, ces quelques jours...

Le cirque reprend la route...de nouveaux lieux, de nouveaux visages, de nouveaux masques d'inconnus venus t'acclamer, ou plutôt venus acclamer cette illusion de toi, ce fantôme triste qui te ronge un peu plus chaque jour.
L'artiste, l'homme disparaît peu à peu, vendu pour quelques bravos...qu'il est dommage de voir se perdre tant de talent.
Ce soir, on dresse le chapiteau...tu as mal, mais qu'importe, "the show must go on"...et puis, un clown, au fond, même si ça s'use, ça se remplace, le public ne verra même pas la différence: ils ne voient de toute façon qu'une illusion, alors une de plus une de moins...

Reste celle qui, de loin, t'observe sans mot dire, funambule, perchée sur son fil d'acier. Elle n'aime pas le cirque, celle là, et elle espère de tout son cœur
que tu t'en souviendras si un jour tu décides de laisser ton nez rouge derrière toi...

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